La loi sur l’Egalité des Chances s’inscrit dans un vaste programme de précarisation de l’emploi, en programmant la mise à mort du CDI au profit du Contrat Première Embauche, en n’octroyant aucun statut satisfaisant aux stages, et en instaurant l’apprentissage à 14 ans. Par ailleurs, le gouvernement, qui prétend lutter contre le chômage, prévoit de supprimer quelques 20 000 postes dans la fonction publique ! Ce texte répond aussi au malaise social traduit par les émeutes des banlieues par un profond mépris, engraissant encore les entreprises, et par une répression toujours plus forte, avec l’instauration du contrat de responsabilité parentale notamment.
1)Le CPE (contrat première embauche)
Le prétexte invoqué : la lutte contre le chômage
[Le Monde 10 janvier 2001] Selon un sondage réalisé du 23 au 29 décembre 2005 par l’IFOP auprès de 300 dirigeants ayant eu recours au CNE, seuls 29% des entrepreneurs interrogés déclarent qu’ils n’auraient pas embauché sans l’existence du CNE, alors que 71% auraient de toutes les façons recruté, dont 40% en contrat à durée indéterminée (CDI) et 28%en contrat à durée déterminée (CDD).
Une main d’oeuvre docile
Ce contrat vise les entreprises de plus de 20 salarié-es et concerne les jeunes de moins de 26 ans. Alors que le gouvernement le présente comme un CDI, le CPE comprend une période d’essai (appelée « période de consolidation de l’emploi »)de 2 ans, durant lesquelles le/la salarié-e peut se voir remercier sans motif. Cette disposition est contraire au code du travail,à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’aux conventions collectives de l’Organisation Internationale du Travail (OIT2). Si le patron décide de se séparer de l’employé-e, il lui suffit d’envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception,en respectant un préavis de 2 semaines pour un contrat de 1 à 6 mois, et préavis d’1 mois pour un contrat de 6 mois à 2 ans. Alors que dans le droit du travail,le délai de prescription pour la contestation du licenciement est de 30 ans, il est ici ramené à 12 malheureux mois ! Et que contester quand on sait que l’on peut être viré sans obtenir de justification ? Il n’existe plus de recours aux prud’hommes possible, le/la salarié-é « kleenex » n’avait qu’à bien se tenir.
Quelles garanties financières ?
Pour nous, aucune : les indemnités de licenciement s’élèvent à 8% du montant total de la rémunération brute (c’est à dire sans cotisations sociales !), autrement dit rien. La contribution patronale aux Assedics n’est pas plus fameuse puisqu’elle plafonne à 2% contre 4% en CDI et CDD. Mais « rassurons-nous » : les travailleurs/ses viré-es entre 4 mois et 6 mois d’ancienneté ont une allocation d’Etat forfaitaire pendant deux mois (16,4 euros par jour !), dans les mêmes conditions que pour le CNE. Pour les patrons, c’est l’aubaine : les entreprises qui embaucheront en CDI sous la forme d’un CNE ou d’un CPE des jeunes au chômage depuis plus de six mois se verront accorder une exonération totale des charges patronales pendant trois ans : une initiative censée lutter contre la précarité professionnelle des jeunes en encourageant les employeurs à signer ce type de contrats « à durée indéterminée ». Les employeurs auront tout intérêt à proposer aux jeunes diplômé-es de revenir les voir dans 6 mois pour bénéficier de l’éxonération de charges.
Et après le CPE ?
Après rupture du CPE, l’employeur ne peut employer le/la même salarié-e avant 3 mois. Passé ce délai, rien ne l’oblige à embaucher sous contrat beaucoup plus coûteux ! En clair, le CPE pourra devenir un contrat de deuxième, troisième, voire quatrième embauche à condition que l’employeur attende trois mois. Qui se risquera donc à faire grève, refuser d’apporter le café au patron, s’engager syndicalement, demander à voir ses heures supplémentaires payées ? Le contrat première embauche (CPE) constitue une attaque frontale contre le droit du travail : les jeunes, déjà précarisés pour entrer dans le monde du travail, vont l’être encore plus. Qui peut croire que cette mesure est susceptible de s’attaquer au chômage des jeunes ? Elle ne vise qu’à permettre au patronat d’avoir des salarié-es licenciables sans aucun motif pendant deux ans. Le gouvernement réfléchit déjà à une nouvelle étape : élargir cette mesure à tous les salarié-es de toutes les entreprises !
Cette mesure, contrairement à ce que dit Villepin, ne vise pas à réduire le chômage. Le frein à l’embauche ne se situe pas dans le contenu du contrat de travail : les entreprises embauchent quand elles en ont besoin !Le CPE constitue un effet d’aubaine au détriment d’autres contrats de travail. Si on leur propose des salariées jetables, sur qui pendant deux ans le chantage quotidien s’exercera, qui ne pourront faire aucun projet d’avenir, les patrons ne peuvent que s’en satisfaire !
Le CPE c’est donc :
- Une période d’essai de deux ans où l’employeur peut virer sans motif et quasiment sans délai
- Une indemnisation ridicule en cas de licenciement et l’impossibilité de faire des projets
- Encore et toujours des exonérations patronales En bref, un contrat qui loin de lutter contre le chômage, crée une main d’oeuvre corvéable et bon marché.Les plus jeunes ne sont pas épargnés. En effet, la loi sur l’apprentissage à 14 ans vient d’être acceptée par les députés ; à elle seule, elle cristallise l’incapacité du gouvernement à faire face aux inquiétudes fondées,relatives à l’école. Plutôt que de donner des moyens au service public d’éducation, nos dirigeants préfèrent mettre les adolescents le plus tôt possible sur un marché du travail pourtant débasté.
2/ L’apprentissage à 14 ans
Le gouvernement propose d’abaisser de 16 à 14 ans l’âge à partir duquel les enfants pourront partir en apprentissage. Par voie de conséquences il supprime du même coup la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et abaisse l’âge légal du travail à 14 ans. L’apprentissage à 14 ans se décompose en deux étapes : l’apprentissage junior initial et l’apprentissage junior confirmé.
L’apprentissage : une « voie d’excellence » selon Villepin
L’initiation aux métiers, demandée par l’enfant et/ou ses responsables légaux, se déroule sur un an dans un lycée professionnel ou un Centre de Formation des Apprentis (CFA) et comprend des enseignements généraux, des enseignements technologiques et pratiques et enfin des stages en entreprise. Le contrat d’apprentissage, d’un an aussi, sera ouvert aux apprenti-es de 15 ans, même celles et ceux qui n’ont pas achevé le premier cycle de l’enseignement secondaire : l’équipe pédagogique(théorique, car le tutorat de l’enfant n’est pas obligatoire) n’aura qu’à les juger « aptes » à suivre le socle commun de connaissances et de compétences. Cette équipe pourra aussi prolonger la durée normale de 2 ans d’apprentissage, et ceci sur seule recommandation.
Objectif : 500 000 jeunes en contrat d’apprentissage à partir de 2009, 200 000 nouveaux par an à partir de 2007. Dans ce but, augmentation de la taxe d’apprentissage pour les entreprises de plus de 250 salariés ayant un nombre d’apprentis inférieur au seuil (3% des effectifs à partir de 2008 – aujourd’hui 0,5% des effectifs) : 0,6% de la masse salariale.
Le développement de l’apprentissage, c’est tout bénéfice pour les entreprises : majoration de 38% du crédit d’impôts pour l’embauche d’apprenti-es (1600€ avant, 2200 avant), à laquelle s’ajoutent 100 euros de crédit d’impôt par semaine de présence dans l’entreprise pour un employeur de stagiaire en “parcours d’initiation” (jusqu’à 6 mois par an !). Une véritable aubaine : 3 % des salarié-es pour un salaire de misère, en échange d’un « apprentissage » le plus souvent bidon, sans aucune garantie (pas même d’un tuteur issu de l’Education nationale). 500 000 faux apprenti-es de plus, c’est 500 000 vrais CDI de moins. C’est aussi tout bénéfice pour l’Etat : moins de jeunes dans les écoles, donc baisse du budget de l’Education nationale. A celles et ceux qui ne peuvent se couler dans le moule, le gouvernement répond : puisque vous n’êtes pas capables, puisque l’Ecole vous ennuie, puisque vous ne savez pas vous soumettre au modèle culturel dominant, alors, dehors ! Au travail !
Plutôt une voie de garage pour l’Education Nationale
Le gouvernement n’a de cesse de répéter que rien n’est irréversible, puisque l’enfant pourra faire le choix jusqu’à 16 ans, en accord avec ses responsables légaux, de retourner en collège ou en établissement supérieur maritime ou agricole. Encore une fois, cette assertion n’est que théorique, car on peut imaginer qu’un enfant en apprentissage connaîtra de grandes difficultés à suivre de nouveau le rythme de l’enseignement général ! On va jusqu’à nous dire que l’apprenti-e pourra suivre une scolarité générale en même temps que son parcours d’initiation !
Ainsi, alors qu’il faudrait changer profondément l’école, alors qu’il faudrait mobiliser toute l’institution scolaire pour raccrocher les nombreux jeunes qui l’ont quittée par découragement ou par écoeurement, le gouvernement ne trouve comme réponse que de conforter une école élitiste, réservée aux seuls « héritiers » et à quelques boursiers méritants qui lui serviront d’alibi démocratique. Est-ce la seule conclusion que le Premier Ministre ait tiré de sa rencontre avec les enseignant-es des banlieues ?
Le contrat d’apprentissage, qui se voulait à la base une construction autonome du travailleur (puisqu’il apprenait son métier sur les bancs de l’école et non en entreprise) devient aujourd’hui l’instrument du patronat pour former une jeunesse malléable et sous instruite.
L’apprentissage à 14 ans, c’est donc :
- Un retour de 30 ans en arrière, avec la fin de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans
- L’acquisition pour l’enfant d’un socle commun de connaissances nettement insuffisant
- Une formation par et pour l’entreprise dans laquelle il aura signé son contrat (quel avenir ailleurs ?)
- L’aggravation des inégalités scolaires et l’exclusion des jeunes jugées « inaptes »Ces jeunes seront amenés, comme d’autres, à suivre des stages. Face à la mobilisation des stagiaires qui réclamaient en 2005 un véritable statut inscrit dans le Code du travail, un vrai salaire soumis à cotisations sociales, dès le début du stage et augmentant avec la durée de ce dernier, le gouvernement a fait la sourde oreille.
3)Les stages
En effet, le projet de loi pour l’Egalité des Chances ne propose qu’une indemnisation pour les stages de plus de 3 mois, ce qui est loin de constituer un salaire ! De surcroît, cette indemnité est fixée en entreprise, par convention de branche ou accord professionnel(ce qui signifie qu’il n’existe pas de seuil minimum). En revanche, pour les patrons, cette réserve de main d’oeuvre bon marché est vraiment appréciable : ils bénéficieront d’un abattement de cotisation sociale à hauteur de 360 euros d’indemnité mensuelle. Les stages seront comptabilisés pour calculer l’ancienneté (CPE).
C’est donc un véritable entérinement du stage comme période de travail, mais où aucun droit fondamental (salaire, statut, recours aux prud’hommes) n’est accordé.
Le stage, c’est donc :
- Une réserve de main d’oeuvre avantageuse financièrement
- La mise en place d’une indemnisation largement insuffisante et arbitraire
- Le statut quo sur l’absence de droits communs à tout contrat de travail normal4) Le contrat de responsabilité parentale
Dans la logique de destruction sociale généralisée qu’a engagée le gouvernement, la famille est maintenant mise sur la sellette avec le Contrat de Responsabilité Parental.
Réponse aux conséquences de la misère : punition sociale !
Lorsque la situation scolaire d’un enfant semble le requérir (absentéisme ou échec scolaire…), et parce que la faute est attribuée à une « carence parentale », l’Inspecteur d’académie a maintenant le pouvoir d’en référer au Président du conseil général. Est alors exigé aux parents de signer un Contrat de Responsabilité Parental qui, si ses obligations ne sont pas remplies ou si sa signature fait défaut, peut entraîner :
- La suspension de tout ou partie des prestations afférentes à l’enfant, pour une durée de 3 à 6 mois
- Une contravention
- La mise sous tutelle des autres allocations
- La saisie du procureurUn chantage pervers
Les parents sont maintenant non seulement culpabilisés à outrance, mais contraints de jouer le rôle des vassaux du ministère de l’intérieur, s’ils ne veulent pas voir leurs maigres ressources sociales suspendues. Si les situations d’échec parental existent bel et bien, la réponse répressive de l’Etat que ce soit pénale, financière ou désormais sociale (les stages et autres contrats imposés aux « mauvais parents ») est loin de garantir un quelconque soutien !
Les questions qui fâchent
Qu’est-ce qu’une « défaillance parentale » ? Ou de « grandes difficultés scolaires » ? Loin de Villepin l’idée de nous éclairer. Mais on peut facilement imaginer que les enseignants seront en première ligne, puisque c’est à eux qu’il incombe de noter les absences ou de mesurer (imparfaitement et fort subjectivement) les difficultés scolaires. Après les enseignant-es bouche-trou (remplacements de courte durée), les enseignant-es auxiliaires de police (obligation de dénoncer tout crime / délit dont ils/elles seraient témoins), voici les enseignant-es affameuses/eurs de familles pauvres !
Le Contrat de Responsabilité Parental, c’est donc :
- Un chantage aux allocations
- La culpabilisation des parents
- Une réponse répressive face à un problème social, conséquence de la pauvreté et du mal-être organisés !Ce projet de loi anti-emploi, anti-éducation, et anti-social a été pourtant justifié par la lutte contre le chômage et l’exclusion. Paradoxalement, le gouvernement s’obstine à supprimer des postes dans la fonction publique !
5)La baisse des postes au concours
Malgré la mobilisation contre la loi Fillon en 2005, le gouvernement continue en toute impunité à détruire le service public d’éducation. La baisse des postes aux concours de l’éducation nationale a commencé en 2004 avec par exemple 40 % de postes en moins au CAPES de musique ainsi qu’une forte diminution dans les autres filières.
Pour le concours 2006, c’est une hécatombe : 50% de postes en moins au CAPES d’EPS, 50% au CAPES de musique. Les autres concours du second degré ne sont pas épargnés : mille postes en moins pour le concours de professeurs en lycée professionnel, 52% de postes en moins au CAPES de CPE. On peut constater que dans la droite ligne de la réforme Fillon, les matières dites artistiques subissent un important nettoyage.
L’objectif est, à terme, de supprimer ces CAPES et de remplacer les professeur-es de matières artistiques par des intervenants spécialisés, les professeur-es d’EPS seront eux/elles sûrement remplacé-es par des éducateurs sportifs. En tout, il faut constater une suppression de 5000 postes dans les concours de l’éducation nationale.
Dans la fonction publique en général, ce n’est pas moins de 20 000 postes qui seront supprimés !
Les mesures détaillées ci-dessus sont différentes. Pourtant, elles doivent être liées, et combattues ensemble. En effet, elles font partie intégrante d’une vision libérale de la société, basée sur le mérite (réussite scolaire, concurrence au et pour le travail, “loi de la jungle”…) et non sur une véritable justice sociale.
La population est précarisée dans tous les domaines de la vie quotidienne : emploi, logement, santé, retraite, études. Les attaques sont régulières et n’épargnent personne.
La jeunesse, plus touchée par le chômage que les autres tranches de population (22,7% contre 9,2% de moyenne nationale) se voit proposer des CDD sans perspectives, de l’intérim, des stages souvent non rémunérés, et bientôt, si nous n’intervenons pas, des CPE.